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La philosophie de l’atelier

Le dessin architectural, élégant et inséré dans son environnement urbain ou rural, reste le coeur du métier de l’architecte mais il est loin d’en constituer l’unique aspect. Fondamentalement, les architectes façonnent les espaces de vie individuels et collectifs. C’est pourquoi ils le font au service du bien-vivre des populations dans le respect fondamental des matrices naturelles des lieux.
La crise qui est devant nous est à la fois écologique et humaine. L’architecte doit réconcilier l’ensemble de ces dimensions pour créer de l’agrément de vie des habitants et de l’harmonie entre nature revisitée et vie sociale.
À ce stade, il est important de noter que le métier d’architecte ne se résume donc pas au dessin. Il englobe d’abord la bonne lecture des paramètres qui président aux projets, de la première esquisse à la levée des dernières réserves de fin de chantier.
Il en résulte une vision d’une architecture raisonnée déclinée en trois points :
– la compréhension des espaces, de leur fonctionnement et de leur appropriation souhaitée par les usagers,
– la question de l’enveloppe financière qui doit être respectée du début à la fin des projets et où tout renchérissement des coûts ne peut se justifier que par des demandes supplémentaires du Maître d’Ouvrage ou par des aléas de chantier inopinés,
– le dessin architectural, résultat de l’ensemble des points précédents et qui ne saurait être supérieur aux autres.

Du point de vue du dessin, toute matérialité, toutes formes peuvent être envisagées au regard des progrès technologiques faits par l’humanité. Cependant, il semble bon de ne pas trop abuser de ces avancées technologiques qui rendent souvent dépendants et peuvent ne plus être opérationnels lorsque vous en avez le plus besoin (la climatisation qui ne fonctionne plus au pire pic de chaleur par exemple). Il semble donc intéressant de se pencher plutôt vers des solutions low-tech et traditionnelles lorsque celles-ci sont éprouvées et réellement bénéfiques, à la fois pour l’homme et la nature.
Pour reprendre la pensée de Glenn Murcutt, architecte australien récipiendaire du prix Pritzker en 2002, par ailleurs représentant du “fonctionnalisme écologique”, il semble intéressant de voir dans chaque bâtiment, un médiateur entre l’Homme et la Nature, un révélateur du paysage, un dispositif de régulation climatique ayant pour but de réduire au maximum l’empreinte des projets en CO2.
Reste à relier cette préoccupation avec celle plus globale du bien-être à vivre des lieux, à s’y investir non pas comme de simples bâtiments mais comme de véritables habitats producteurs d’interactions rassurantes et satisfaisantes, générant un équilibre de vie synonyme de redéploiements des consciences à vivre pleinement la vie.
L’architecture moderne est une grande source d’inspiration. Réadaptée au milieu du XXe siècle, elle doit répondre aujourd’hui à des critères bioclimatiques exigeants, source de facilités de vie pour les habitants. Elle conserve aujourd’hui des formes inspirées de ce mouvement en gommant toutefois ses aspects trop excessifs et en utilisant les dernières recherches en matière de ventilations naturelles par exemple, des considérations à intégrer dans le dessin architectural sans en altérer l’esthétisme.
Le dessin permet de ne pas rendre le bâtiment plus visible qu’il ne doit l’être, de l’adapter aux ressources locales, naturelles ou construites par l’homme au fil du temps. Le dessin reflète, façonne et valorise un paysage et un art de vivre. Cette approche constitue le cœur de l’engagement d’une architecture raisonnée. 
De la même manière, l’urbanisme, partie intégrante du travail de l’architecte, se doit donc de conférer un meilleur cadre de vie collectif.
En matière d’écologie, les espaces extérieurs des bâtiments doivent être conçus afin de limiter l’impact de la hausse des températures, comme à laisser libre cours aux circulations naturelles de l’eau. L’utilisation de surfaces perméables permettant le bon écoulement des eaux est un des moyens d’éviter les inondations et donc les situations d’inconfort des usagers. Garder des superficies de pleine terre lorsque c’est possible deviendra indispensable, de même que la présence plus systématique d’arbres dans les espaces libres, publics ou privés.
L’environnement créé doit se positionner résolument comme facteur de lien entre les hommes. Dans une fonctionnalité bien réfléchie des lieux tout en pensant les circulations des personnes dans leurs différents modes de locomotion : à pied, à vélo et en voiture principalement.
La création de places ou placettes avec des assises pour se reposer, pour se rencontrer, est d’un grand intérêt et par trop souvent négligée.
L’architecte se doit, dans la mesure du possible, de privilégier des matériaux présents dans un rayon de 100 km, extraits de façon raisonné et durable. Les zones piétonnes devront au sol utiliser des textures non glissantes. Et les assises, bancs ou sièges, seront réparties dans l’objectif de créer de la socialisation dans les villages comme dans les villes. Les matériaux utilisés pourront différencier les lieux sans présence de signalétiques souvent polluantes en terme visuel.
« Sciences sans conscience n’est que ruine de l’âme » selon Rabelais. L’architecte peut adhérer à cette idée à tous les stades de son travail. L’architecte est un passeur. Il peut créer des formes respectant l’histoire du lieu tout en empruntant des traits culturels contemporains. Il peut modifier les usages en tenant compte des aspirations des habitants potentiels. Il peut induire de nouvelles pratiques plus tournées vers la socialisation, la rencontre, la coopération entre les hommes. Il peut s’attacher à transcrire des vies moins segmentées, moins individualistes.
La priorité écologique se conjugue parfaitement avec l’élévation de la solidarité entre les personnes. Cette compréhension du lien intime entre l’espace et les hommes confère aux projets une haute valeur naturelle et humaine. Dans le cadre de l’enveloppe financière de la Maîtrise d’Ouvrage, il en va de la responsabilité de l’architecte de mettre en œuvre ce lien indissoluble entre nature et culture, entre espace et bien-être.

Olivier DELBOS – architecte DPLG